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Axe 2 - Organisation de l’espace

Axe 2 - Organisation de l'espace

Responsables : Bérengère Perello et Marie-Odile Rousset

Cet axe de recherche explore le lien entre l'espace et les sociétés du passé et rassemble géographes, archéologues et historiens travaillant sur la longue durée, de la préhistoire récente (12000-6000 av. J.-C., néolithisation et Néolithique) à l'époque médiévale. Leurs travaux de terrain, sur une vaste assise géographique (France, Crète, Anatolie, Caucase, Asie centrale, Levant, Syrie, Jordanie, Irak, Iran, péninsule arabique, Afrique de l'Ouest), forment l’essentiel de la documentation à partir de laquelle comparaisons et interprétations sont formulées.

La notion d’espace est multi scalaire ; elle englobe le territoire d’un groupe nomade ou d’un 
« État », les espaces de déploiement des réseaux migratoires et de collecte des ressources, les ancrages spatiaux des circuits d’échanges économiques, ou encore l’aire d’influence d’une ville, le terroir d’un village, les formes de l’urbanisme et de l’architecture jusqu'aux composantes d’une maison.

Deux programmes structurent cet axe :

Programme A - Dynamique de peuplement

  • Les néolithisations

La question de la néolithisation est souvent abordée comme un stade évolutif dans une évolution linéaire : on suppose que ce stade est franchi plus ou moins précocement par des sociétés mésolithiques en fonction de leur proximité avec le "noyau" de néolithisation primaire situé dans le Croissant Fertile. La néolithisation est par ailleurs appréhendée comme un processus plus ou moins uniforme, où les sociétés humaines se sédentarisent dans le sillage de la domestication de certains animaux et de certaines plantes. Mais les travaux récents menés en Anatolie, en Iran ou au Caucase ont révélé l'existence de phénomènes bien plus complexes, où la néolithisation, vécue non pas comme un progrès mais comme une nécessité, se traduit par la naissance de l'élevage mais pas de l'agriculture (ou l'inverse), ou encore, s'effectue dans un cadre de vie largement mobile. Tous ces cas de figure justifient que l'on parle désormais de "néolithisations" et que l'un des enjeux majeurs de la recherche archéologique, en Orient, dans le Caucase ou en Europe, consiste à analyser les processus par lesquels certaines sociétés humaines ont développé une économie de production, tandis que d'autres, parfois dans un même territoire, choisissent de conserver un mode de subsistance fondé sur la chasse et la cueillette. Les dynamiques de peuplement de la fin du Pleistocène et du début de l'Holocène demandent donc à être étudiées en fonction de ces nouveaux paradigmes.

L'étude de la néolithisation du Caucase se fera à travers la poursuite des travaux de terrain menés à Kültepe I et Uçan Agil, au Nakhchivan (Mission Araxe), tandis qu'un travail de réflexion collective engageant tous les acteurs, français ou étrangers, sera engagé grâce à l'IRN "Worlds in Transition", dont le Thème 1 porte précisément sur cette question.

Au Proche- Orient, l’un des foyers majeurs de la néolithisation est constitué par le nord de la vallée de l’Euphrate, en Syrie, au cours du Xe millénaire. Les recherches porteront sur formation des territoires néolithiques, qui sera abordée à partir de l'étude de fouilles anciennes (Mureybet, Jerf el-Ahmar, tell Abr...). En Syrie centrale et en Jordanie, c’est le mode d’occupation des espaces steppiques qui sera l’objet d’étude, sur le partage des territoires entre le IXe et le VIe millénaire (Bal‘as, Qdeir, Jibal al-Khashabiyeh...). Cette problématique sera également envisagée pour des occupations néolithiques plus récentes aussi bien en Afrique de l’Est qu’en Asie centrale.

  • Structuration des territoires

 Ce sous-programme questionne le rôle des pouvoirs politiques centralisés dans la structuration des territoires. Il sera nourri de l'analyse de la documentation recueillie au cours des prospections archéologiques réalisées dans différents contextes : territoire d'une cité (Malia en Crète, al-Rawda en Syrie, Pasargades et autres sites du sud de l’Iran), zones de marges par rapport à un centre administratif (les montagnes du Caucase – Azerbaïdjan, Géorgie, Arménie –, la vallée du Halil rud (sud-est de l’Iran), le plateau du Tigray en Éthiopie, les Marges arides de la Syrie du Nord et de Jordanie), oasis (Kayrit en Ouzbékistan, Bât et al-Arid en Oman)...

Ces « fenêtres » montrent, dans ces contextes environnementaux variés, des phases d'occupation marquées par une forte emprise agricole (voire même une urbanisation dans certains cas) et des hiatus apparents. La réflexion commune des archéologues de terrain et des spécialistes de télédétection, de géographie historique et de modélisation, mettra en évidence les formes de structuration des territoires. L'analyse de répartition et de la hiérarchie des agglomérations, des habitats isolés et des infrastructures permettront de mettre en évidence différents modèles de représentation spatiale du pouvoir.

  • Mobilités, routes, itinéraires

La période du Paléolithique au Néolithique a souvent été présentée comme le passage d'un mode de vie mobile à la sédentarisation des populations humaines. Si la réalité du mode de vie néolithique apparaît beaucoup plus complexe, la mobilité pratiquée par les populations de l'Orient et du Caucase depuis la fin du Pleistocène prend différentes formes, dont l'analyse sera au centre du présent programme : La Mission Araxe au Nakhchivan s'attachera par exemple à analyser les conditions de formation du pastoralisme vertical dans le Caucase (phénomène néolithique ou chalcolithique ?), à retracer les itinéraires des pasteurs nomades par l’étude de données géochimiques et bioarchéologiques (obsidienne, dents de caprinés...), à reconstituer les territoires des formations non étatiques par l'étude de l'implantation des monuments funéraires (tumuli, cairns), en lien avec l'opération 4.B.1 de l'axe 4, des pétroglyphes et des bétyles.

Au Proche-Orient, l'étude des routes et des contacts entre les sites sédentaires, les campements saisonniers et les camps de chasse est au centre d’une recherche plus générale sur l’occupation et la mobilité des zones steppiques de Syrie et de Jordanie. L’étude sera réalisée à partir des exemples de Qdeir et de Jarette Gazella, sites nomades du VIIe millénaire, de l'exploitation des données de la prospection des Marges arides de Syrie du Nord (transpériode) et de l’étude microrégionale autour du site d’Al-Rawda (3e millénaire), dans la steppe à l'est d’Hama, et de celles de la prospection du Harra occidental, au nord-est de la Jordanie.

Programme B - Diversité des formes et fonctions des agglomérations et des habitats

  • Scénarios d’urbanisation

Pendant longtemps la diffusion du phénomène urbain a été interprétée selon un modèle diffusionniste distinguant un centre à partir duquel se serait propagée la culture urbaine vers des zones périphériques. Les recherches menées ces dernières décennies ont largement nuancé cette vision et ont mis en évidence l’existence de scénarios alternatifs d’urbanisation, à différentes époques, liés en partie à la nature de l’environnement géographique et culturel. L'étendue géographique et chronologique des terrains d'Archéorient nous permet de continuer à explorer la variété des scénarios d'urbanisation, depuis les premières villes jusqu'à l'époque médiévale. La naissance ou la fondation de nouvelles villes induisent des formes particulières, expressions politiques et symboliques des pouvoirs en place. Les processus de création et de structuration, ou de restructuration des communautés urbaines seront envisagés à partir de différents cas de villes planifiées. L'étude des villes rondes de Syrie au 3e millénaire sera poursuivie. À Qasr Shemamok (Irak), l'analyse conjointe des textes cunéiformes et des résultats des fouilles permettra d'entrevoir les effets de la gestion et de l'administration de l'empire assyrien sur la structure urbaine. Les fondations royales achéménides seront étudiées à la fois en Iran, et dans les zones « périphériques » de l'empire. Ce programme abordera également le cas de la transposition, à l'époque romaine, d'un modèle de ville bien défini, dans les différentes régions du bassin Méditerranéen, ainsi que celui de la création de villes de garnison au début de l'époque islamique au Proche-Orient.

  • Ville en diachronie

Une ville, parfois à l'histoire plurimillénaire, ne peut faire abstraction des infrastructures et des constructions préexistantes et son développement est conditionné par la topographie qui lui a été laissée en héritage. La présence de reliefs d'origine anthropique peut même, après une période d'abandon, déterminer la localisation d'un nouvel établissement. Dans ce programme, les villes sont abordées sous l’angle de la diachronie et de l’évolution urbaine. Il s’agira notamment de vérifier la stabilité des parcellaires et l’évolution des éléments constitutifs du tissu urbain : remparts, portes urbaines, réseau viaire, habitat, centres religieux, administratifs et économiques, zone portuaire, etc. Nous nous attacherons à mettre en évidence les permanences et les ruptures dans l’organisation de la morphologie urbaine et à en cerner les causes. Au- delà de ces questionnements, nous nous interrogerons sur le déclin et la non-pérennité des villes, en lien avec le programme de l’axe 1 « stratégies de subsistance ».

Dans le cadre de ce programme, le laboratoire participera au développement de nouveaux dispositifs de prospection géophysique, basés sur les méthodes électrostatiques et sismiques : une cartographie profonde du sous-sol sera ainsi possible afin de tenter d’évaluer l’épaisseur des couches archéologiques de différentes phases d’évolution du tissu urbain et restituer la topographie originelle de la ville.

 Ces recherches se déploieront essentiellement dans le Kurdistan irakien, en Iran, à Bahreïn, en Crète et à Chypre et s’appuieront sur l’exploitation de fouilles déjà conduites en Syrie et en Irak.

  • Agglomérations villageoises et temporaires

L'étude des différentes formes d'habitat en archéologie orientale s'est trop longtemps limitée aux villes, à l'étude de leur genèse et de leur développement. Les villages étaient appréhendés soit comme des formes d'agglomération pré-urbaines, dans une logique de développement évolutif et linéaire ; soit comme un type d'habitat complémentaire des formes urbaines, dans un système socio-politique hiérarchisé, étatique ou proto-étatique. Dans cette logique, les habitations temporaires constituaient le troisième et dernier niveau d'une hiérarchisation de l'habitat. L'étude des villages et des établissements temporaires dans les sociétés non étatiques était rarement abordée en tant que telle, alors même que la majorité des sociétés humaines évoluait au sein de formations socio-politiques de ce type jusqu'à une époque relativement récente (ca. 16e siècle n.è). L'objectif de ce programme sera donc d'étudier toutes les formes d'agglomérations villageoises et/ou temporaires, dans leurs modes de fonctionnement et leurs interactions, afin de mettre en évidence leurs éventuelles singularités, ainsi que leur complexité, dans des cadres qui ne sont pas forcément ceux d'entités étatiques.

  • Lieux de vie et d’activités

Une dissociation entre architectures domestiques et collectives a pu être mise en évidence dès le PPNA (Khiamien), traduisant, dès le 10e millénaire av. J.-C., un certain degré de structuration sociale.

Ce programme vise à montrer la diversité des formes architecturales (domestiques, communautaires et monumentales) et de leurs usages, depuis le Néolithique, jusque dans l’architecture domestique à Alep entre le XIIe et le XVIIIe siècles. Il s’attachera aussi à repérer des zones de dispersion des types formels, à déterminer des phénomènes d’influence, d’hybridation ou de diffusion en architecture y compris vers les régions voisines, monde égéen à l’ouest et Transcaucasie au nord-est.

L'identification des activités (qui ne se déroulent pas forcément dans des espaces construits) et de la fonction des espaces seront opérés par l’analyse du matériel. Nous souhaiterions approfondir la réflexion sur les rapports entre les enveloppes

de l'espace, les niveaux de sols, les murs, les couvertures, les passages, les hiérarchies d'espaces et de fonctions dans la maison, ainsi que leur élaboration/évolution historique et leur production...

Le programme s’appuie sur des fouilles conduites jusqu’en 2010 en Syrie, sur des opérations en cours menées dans le Kurdistan irakien, dans le Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan), en Égypte et en Afrique de l'Est ainsi que sur l’analyse de cartes magnétiques obtenues dans le cadre de prospections géophysiques.